Avec Joëlle nous nous sommes découvertes et rencontrées au sein du réseau professionnel de plumes « La Guilde des plumes », auquel nous appartenons toutes les deux. Nous nous sommes assez vite rapprochées après tout, nos prénoms sont presque identiques : Joëlle, Yaël. La manière dont nous envisageons notre métier de plume se ressemble également. C’est donc, assez naturellement que nous avons décidé de nous « portraitiser »et de donner à chacune les mots de l’autre.
Nous sommes toutes les deux, des plumes plutôt littéraires. Nous prêtons notre plume, nous trouvons les mots justes, nous écoutons pour retranscrire, mettre en valeur et raconter. Le jeu du portrait est un exercice que nous affectionnons particulièrement car il peut prendre des formes très diverses. Comme nous sommes aussi toutes les deux plume-biographe, c’est donc naturellement que j’ai choisi de composer le portrait de Joëlle, telle une histoire de vie.
De passage à Paris début septembre, Joëlle Pressnitzer la bretonne vient à Paris. Nous nous donnons rendez-vous dans le quartier Edgar Quinet près de la Tour Montparnasse. Nous trouvons dans une petite rue un café au soleil et nous commençons à papoter entre copines qui ne se sont pas revues depuis longtemps. Nous bavardons de tout de rien, de nos vies respectives, des vacances, de notre métier passion. Pourtant, cette fois notre rencontre est un peu particulière elle a pour objectif que je fasse le portrait de Joëlle.
…pour en composer le portrait
J’ouvre donc mon cahier et prend un tas de notes en laissant griller avec plaisir mon visage au soleil, histoire d’emmagasiner un maximum de vitamine E pour l’hiver. Je laisse parler Joëlle, elle mène un peu la conversation. Et moi je l’écoute se raconter, je prends des notes, j’écris mes petites impressions pour ne pas les oublier. De temps en temps j’interviens pour avoir une précision, échanger un bon tuyau de plume, un éclat de rire, un souvenir presqu’identique qui nous mènera à une conclusion similaire. Nous sommes lancées et pour nous arrêter il nous faudra le couperet de l’heure qui passe et de nos prochains rendez-vous. Trois heures après je me retrouve dans le métro avec un certain nombre de pages de notes noircies. Je feuillète mon cahier il y a une sacrée matière ! Je lis quelques bribes de phrases çà et là et j’entends encore dans ma tête la musicalité de la voix de Joëlle. Je suis ravie de notre entrevue c’est toujours un plaisir d’échanger avec ses pairs.
Très vite je décide de remettre en forme les notes prises de façon manuscrites sur mon grand cahier. Les taper sur mon PC est une continuation de mon travail et me permet de m’imprégner des mots de mon client, pour les faire miens. Un peu comme lorsqu’on fait de la cuisine, on malaxe pour faire une boule bien lisse et puis après on fait des petits bouts pour modéliser, donner une forme à ce qu’on veut dire.
Joëlle Pressnitzer: Plume littéraire
ou l’art d’habiller de mots la parole des autres
L’histoire de Joëlle Pressnitzer commence par un coup de foudre : celui pour les quatre lettres que forment le terme «MOTS». Elle les découvre comme tout le monde en classe de français. Puis, elle va s’en imprégner grâce aux chansons des grands chanteurs à texte que son père lui fait écouter dans la voiture durant leurs virées du week-end. Toutefois, c’est en lisant Baudelaire qu’elle va prendre (selon ses propres termes) sa « plus grande claque » et qu’ils vont devenir ses meilleurs amis. A l’adolescence, elle entame des cours de théâtre, pour apprendre à jouer avec les mots des auteurs, comme d’autres jouent de la musique.
Voilà, le décor est planté et Joëlle tel « le petit poucet » va égrainer des mots tout au long de son parcours. Pourtant, malgré son appétence évidente pour la littérature, elle hésite quant à la filière qu’elle souhaite emprunter. Joëlle pressent que l’écriture et les mots doivent faire partie de sa vie mais elle ne sait pas encore comment. Elle intègre Sciences Po Toulouse, puis, son diplôme en poche, passe une licence de sociologie. Joëlle tâtonne, balbutie, cherche encore comment elle va écrire son chemin de vie.
Le théâtre pour jouer les mots
Concomitamment à ses études de socio, elle rejoint une grande compagnie de théâtre toulousaine et devient comédienne professionnelle. L’appel de la littérature est le plus fort, tant pis pour les diplômes obtenus, qu’elle laisse pour le moment de côté ! Dans son métier d’actrice, ce qui la motive, ce sont les textes et comment elle va les dire. Les mots qu’elle interprète lui ressemblent. Elle a besoin de propositions artistiques fortes, engagées, pour donner corps au texte et ainsi habiter les mots des autres. Joëlle est désormais intermittente du spectacle, avec toutes les vicissitudes que cela implique. Il lui devient de plus en plus difficile de passer des moments d’euphorie que procurent la scène au vide de l’après où l’on doit se placer auprès des metteurs en scène et « se vendre ». Au bout de neuf années intenses, elle décide d’éteindre les projecteurs.
Le journalisme pour écrire les mots
Joëlle monte à Paris, devient rédactrice pigiste puis journaliste éditrice durant cinq ans au journal « Le Monde ». Son rôle ? Relire avec attention les textes des rédacteurs. Elle les réécrit en faisant « dans la dentelle », vérifie les infos, se charge des éléments de titraille. Ces années « journaliste » l’ont remise au plus près des mots « écrits » et ont nourri sa « rigueur créative ». Alors qu’elle évolue encore dans la presse, l’écriture d’une biographie lui est confiée. C’est le déclic.
L’accordeuse de mots: l’art d’habiller les mots
En 2017, elle décide de prendre l’air et crée sa propre entreprise. L’environnement parisien, le bruit et la pollution lui pèsent. Elle recherche une ville entre nature et culture. Nantes sera son compromis. Elle y reste trois ans avant de s’installer à proximité, à Clisson. Un endroit « magique ». Joëlle devient alors : « l’accordeuse de mots » pour faire sonner les mots justes et faciliter le processus d’écriture. Elle compose, interprète, habille la parole des autres. Les mots qu’on lui confie sont sa matière première. Elle les retravaille, les sculpte comme de la terre glaise, pour les embellir et leur donner vie à l’écrit sans perdre le côté spontané. Sa méthode : s’attacher à l’oralité des mots, à leur musicalité et réécrire pour cela inlassablement jusqu’à ce qu’on ait l’impression que c’est la personne dont elle écrit la vie qui raconte sa propre histoire.
Les particuliers et les entreprises font appel à ses services. Elle rédige donc des portraits, des discours et des biographies. Elle réécrit le plus souvent des romans, parfois des thèses sur des sujets pointus, et propose également des accompagnements littéraires. … Joëlle prête sa plume et trouve la bonne tonalité aux récits et aux idées d’autrui.
Voyage au centre des mots
En parallèle, elle donne parfois des ateliers d’écriture et est chargée de diffusion pour des petits éditeurs indépendants. Elle lit leurs publications, qui sont autant de pépites à défendre, et fait son « masque et la plume » lorsqu’elle visite les librairies. Lire et écrire sont liés, il ne peut y avoir d’écriture sans lecture et vice versa. Elle s’emplit ainsi toujours et encore des mots des autres. Par ailleurs, elle lit Tesson, Laurent Gaudé, Mauvignier, Camille Laurens, Lola Lafon. Elle aime les textes ciselés, incarnés.
Quand elle n’écrit pas pour les autres, Joëlle vit dans la nature. Elle est plutôt contemplative, a une passion pour les grands espaces et les voyages. Elle se voit bien d’ailleurs, travailler de façon très intense pendant une partie de l’année pour découvrir le monde sac à dos, le reste du temps.
Son plaisir, se balader, se remplir de beau et ouvrir ses oreilles pour glaner les bouts de phrases des passants. Son envie, rassembler ces mots et en tirer des histoires courtes juste pour elle, sans désir de publier.
Il y a un an, elle découvre la Guilde des Plumes grâce aux réseaux sociaux. Elle se reconnaît dans leur définition d’une Plume. Elle y adhère car il est important pour elle qu’une association de professionnels promeuve ce métier par nature dans l’ombre. Ce qui lui plaît à la Guilde : la diversité des profils et des parcours.
Son métier la ravit, Joëlle aime se définir comme « Plume littéraire » et boucle ainsi la boucle avec cette appétence qui la poursuit depuis son plus jeune âge.
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